Contrat Doctoral Universitaire – ANR FEMME

Les films et séries de femmes aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne : évolution des pratiques et des discours à l’ère post-#MeToo

Financé par l’ANR FEMME (FEMale Filmmakers and Feminism in the Media), ce projet de thèse en histoire et esthétique du cinéma et de l’audiovisuel vise à analyser l’évolution des œuvres fictionnelles de femmes (productrices, réalisatrices, scénaristes) et leurs places dans les industries cinématographiques et télévisuelles britanniques, états-uniennes et françaises depuis le mouvement #MeToo. En effet, depuis 2018, ces trois industries ont plus ou moins fait des efforts pour augmenter la diversité devant et derrière les caméras. Les dispositifs récompensatoires semblent eux aussi confirmer cette tendance. En 2018, c’est l’actrice Cate Blanchett qui préside le 71e Festival de Cannes ; Greta Gerwig a été annoncée pour l’édition 2024. En 2019, la saison 2 de la série britannique Fleabag (Prime Video, Phoebe Waller-Bridge) est récompensée aux Emmy Awards. En 2021, Nomadland de Chloé Zhao remporte l’Oscar du meilleur film, tandis que Titane de Julia Ducournau reçoit la Palme d’Or à Cannes. En 2022, The Power of the Dog de Jane Campion remporte le BAFTA du meilleur film et la réalisatrice remporte ensuite le Prix de la mise en scène aux Oscars. Toujours en 2022, la rédaction de la revue Sight & Sound revoit son classement des meilleurs films de tous les temps en plaçant Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce de Chantal Akerman (1975) à la première place et Beau Travail de Claire Denis (1998) à la septième. En 2023, Derry Girls (Channel 4, Lisa McGee) obtient le Prix de la meilleure série comique au British Academy Television Awards. En 2023-2024, Anatomie d’une chute de Justine Triet parvient à remporter à la fois la Palme d’or, le César du meilleur film et un Oscar du meilleur scénario original. Pourtant, malgré un capital symbolique apparemment à la hausse, une enquête menée l’Observatoire de l’égalité femmes/hommes du CNC et publiée en 2021 montrait qu’aujourd’hui encore, seulement un quart des longs métrages français sont réalisés par des femmes, avec des budgets sont souvent moins conséquents . À Hollywood, le même tableau se dessine : les femmes représentaient 18% des cinéastes en 2022 contre 9% en 1998 , alors même qu’elles représentent la moitié des effectifs dans les écoles de cinéma . Plus généralement, le contexte politique actuel de remise en question du droit à l’avortement aux États-Unis porte un coup fort à l’encontre des revendications féministes malgré la dynamique #MeToo.

Né dans le milieu du cinéma, ce mouvement visant à dénoncer les VSS systémiques et à libérer la parole a-t-il donc vraiment changé la donne ? Est-il prudent de parler de « tournant historique » ? L’histoire, mais aussi l’historiographie des femmes au cinéma et à la télévision sont-elles en train de muter sous nos yeux ? On pourra d’ailleurs se demander si les réalisatrices, scénaristes et productrices sont sensibles à ce contexte et plus précisément aux revendications et aux discours féministes. Les représentations dans leurs œuvres témoignent-elles d’un changement de paradigme post-#MeToo ou s’inscrivent-elles dans la longue histoire des luttes pour les droits des femmes ? Une œuvre scénarisée, produite et/ou réalisée par une femme est-elle ou doit-elle forcément être « féministe » ? Quel rôle joue le statut de « films ou séries (féministes) de femme » dans la production et la réception de ces films et séries ?

Cette liste de questions est loin d’être exhaustive et la ou le doctorant·e expliquera lors de l’audition quelles questions seront privilégiées et quelle démarche scientifique sera mise en œuvre pour y répondre. L’hypothèse de travail sera forcément fondée sur la relation femmes—féminismes et il s’agira autant d’éclairer les œuvres et les expériences des scénaristes, productrices et réalisatrices au regard des discours féministes, que de s’interroger sur la manière dont ces œuvres et expériences contemporaines nous amènent à interroger les théories féministes. Les notions de discours et de pratiques, que Judith Butler reprend aux écrits de Michel Foucault, seront au cœur même de l’étude : la création artistique comme pratique, l’œuvre comme discours, l’histoire comme discours, l’historiographie comme pratique, etc. On pourra donc s’attacher autant à ce que « disent » les films et les séries qu’à ce que l’on en fait et à ce qu’on leur fait dire. Il conviendra d’ailleurs de ne pas considérer le féminisme comme un tout monolithique, mais comme un ensemble de discours et de pratiques avec ses traditions et ses désaccords. Les réalisatrices, productrices et scénaristes seront ainsi considérées comme des femmes au pluriel (comme dans les écrits de Teresa de Lauretis) dans une perspective intersectionnelle (héritée du black feminism) qui tiendra compte d’autres formes de discrimination (antisémitisme, classisme, homophobie, racisme, transphobie, xénophobie, etc.).

La thèse s’appuiera sur un cadre théorique qui emprunte aux théories féministes, aux gender studies et aux queer studies, et plus généralement aux études culturelles ; son ambition sera d’apporter une avancée significative dans ces disciplines. Une solide connaissance de l’histoire internationale du féminisme et des films et des séries de femmes (du muet à nos jours) s’avèrera indispensable afin de contextualiser la recherche. La démarche analytique sera idéalement comparative, mettant en regard les films et/ou les séries britanniques, états-uniennes et/ou françaises, et se montrera particulièrement sensible aux dynamiques transnationales ainsi qu’aux singularités nationales. L’approche méthodologique, quant à elle, pourra, selon l’hypothèse dégagée, être formaliste ou empruntée à l’analyse de discours ou le travail sur archives, entrant prioritairement en résonance avec les Work Packages 1 et 2 de l’ANR (WP1 Women Screenwriters, Directors and Producers in Film and Television History, WP2 Feminist Film Theories and Women’s Cinema).

Le ou la candidat·e pourra choisir de se concentrer avant tout sur les films ou les séries, sur les œuvres, leur genèse ou encore leur réception ; ses choix devront être expliqués lors de l’audition.

La thèse sera dirigée par David Roche (une co-direction avec un·e autre membre du consortium sera bien entendu envisageable) et inscrite à l’École Doctorale 58 de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3. Le ou la doctorant·e sera amené·e à participer aux activités de l’ANR, ainsi qu’à celles du programme « Films et séries : Politique des formes audiovisuelles » du laboratoire RiRRa21 et du thème 3 « Faire commun » du laboratoire EMMA. Elle ou il pourra par ailleurs assurer des cours dans le Département Cinéma, Audiovisuel, Nouveaux Médias.

Les candidatures doivent être envoyées à Delphine Letort (delphine.Letort@univ-lemans.fr) et à David Roche (david.roche@univ-montp3.fr) d’ici le 15 mai 2024. Elles comprendront un CV, une lettre de motivation argumentée et le mémoire de M2. La lettre de motivation présentera le projet de thèse en 500 mots, qui sera détaillée lors de l’éventuelle audition dont les modalités seront communiquées ultérieurement.

Les candidatures de tout horizon sont les bienvenues.

Bibliographie indicative

Butler, J. Troubles dans le genre : le féminisme et la subversion de l’identité. 1990. Éditions de la Découverte, 2006.
Chandra, G. et I. Erlingsdottir. The Routledge Handbook of the Politics of the #MeToo Movement. Routledge, 2021.
Crenshaw, K. W. « Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color ». Stanford Law Review, vol. 43, no. 6, 1991, pp. 1241-1299. de Lauretis, T. Technologies of Gender. Indiana University Press, 1987.
Harrod, M. et K. Paskiewics (dirs.). Women Do Genre in Film and Television. Routledge, 2017.
Harrod, M. Genre, Pastiche and Women’s Filmmaking in Hollywood. Palgrave, 2021.
hooks, b. « The Oppositional Gaze. Black Female Spectators ». In Black Looks: Race and Representation, South End Press, 1992, pp. 115-131.
Johnston, C. “Women’s Cinema as Counter Cinema.” Notes on Women’s Cinema, Society for Education in Film and Television, 1973.
Mayne, J. The Woman at the Keyhole: Feminism and Women’s Cinema. Indiana University Press, 1990.
Mulvey, L. Visual and Other Pleasures. Indiana University Press, 1989.
Paszkiewics, K. Genre, Authorship and Contemporary Women Filmmakers. Edinburgh UP, 2018.
Mayer, S. Political Animals: The New Feminist Cinema. I. B. Tauris, 2016.
Perkins, C. et Schreiber, M. Independent Women: from Film to Television. Routledge, 2021.
Sellier, G. « Une histoire du cinéma avec les femmes est-elle possible ? » In L’histoire sans les femmes est-elle possible ? , dirigé par A.-M. Sohn, Perrin, 1998, pp. 137-144.
Tarr, C. et Rollet, B. Cinema and the Second Sex: Women’s Filmmaking in France in the 1980s and 1990s. Continuum, 2001.
White, P. Women’s Cinema, World Cinema. Duke University Press, 2015.

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